La Spiritualité, la plus haute forme de conscience politique
Le Peuple Réel au monde occidental *
* Genève, Suisse, Automne 1977. in A Basic Call to Consciousness, © Akwesasne Notes (1978), Mohawk Nation, Via Rooseveltown, New York. Traduction du Comité de Soutien à l'American Indian Movement, Nantes.
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Les Hau de no sau nee, ou Confédération iroquoise des Six Nations, ont existé sur cette terre depuis le commencement de la mémoire humaine. Notre culture est parmi les plus anciennes continuant à exister dans ce monde. Nous nous souvenons encore des premiers actes du comportement humain. Nous nous souvenons des instructions originelles des Créateurs de la Vie à cet endroit que nous appelons Etenoha, Mère Terre. Nous sommes les gardiens spirituels de cet endroit. Nous sommes les Ongwhehonwhe, le Peuple Réel. Au commencement, on nous a dit que les êtres humains qui marchent sur la terre ont été dotés de tout ce qui est nécessaire à la vie. On nous a appris à nous apporter de l’amour les uns aux autres, et à avoir un grand respect pour tous les êtres de la terre. On nous a montré que notre vie existe grâce à la vie de l’arbre, que notre bien-être dépend de la vie végétale, que nous sommes les proches parents des êtres à quatre pattes. Selon nous, la conscience spirituelle est la forme la plus achevée de la politique. Notre politique est un mode de vie. Nous pensons que toutes les choses vivantes sont des êtres spirituels. Les esprits peuvent s’exprimer sous forme d’énergie traduite en matière. Un brin d’herbe est une forme d’énergie exprimée en matière: la matière-herbe. L’esprit de l’herbe est cette forme invisible qui produit les espèces d’herbes et elle nous est manifestée sous la forme de l’herbe réelle. Toutes les choses du monde sont des choses réelles, matérielles. La création est un phénomène vrai et matériel, et elle se manifeste à nous à travers la réalité. L’univers spirituel, alors, se manifeste à l’homme sous la forme de la Création, la Création qui soutient la vie. Nous pensons que l’homme est un être réel, une partie de la Création, et que son devoir est de soutenir la vie en union avec les autres êtres. C’est pourquoi nous nous appelons Ongwhehonwhe - le Peuple Réel. Les instructions originelles nous recommandent, à nous qui marchons sur la terre, d’exprimer un grand respect, une grande affection et de la gratitude envers tous les esprits qui créent et soutiennent la vie. Nous saluons et exprimons notre reconnaissance aux nombreuses choses qui soutiennent notre vie: le blé, les haricots, la bouillie, les vents, le soleil. Lorsque les gens cessent de respecter et d’exprimer leur gratitude pour toutes ces choses, alors toute vie commence d’être détruite, et la vie humaine sur cette planète touche à sa fin. Nos racines sont profondes dans les terres où nous vivons. Nous avons grand amour pour notre pays, car le lieu de notre naissance est là. Le sol est riche des os de milliers de nos ancêtres. Chacun de nous fut créé sur ces terres, et c’est notre devoir d’en prendre grand soin, car de ces terres jailliront les futures générations des Ongwhehonwhe. Nous marchons avec un grand respect, car la terre est un lieu très sacré. Nous ne sommes pas un peuple qui demande ou exige quoi que ce soit des créateurs de la vie, mais au contraire, nous remercions et sommes reconnaissants de ce que toutes les forces de la vie sont en permanence en travail. Nous comprenons profondément notre relation à toutes les choses vivantes. A ce jour, les territoires qui nous restent sont remplis d’arbres, d’animaux et de tous les autres dons de la Création. En ces lieux, nous recevons encore notre nourriture de notre Mère la Terre. Nous avons remarqué que tous les peuples de la Terre ne montrent pas le même respect pour ce monde et les êtres qu’il porte. Le peuple indo-européen qui a colonisé nos terres, a montré très peu de respect pour les choses qui créent et soutiennent la vie. Nous pensons que ces peuples ont cessé de respecter le monde depuis longtemps. Il y a plusieurs milliers d’années, tous les peuples du monde croyaient en la même façon de vivre, celle de l’harmonie avec l’univers. Tous vivaient en accord avec la nature. Il y a environ 10.000 ans, des peuples parlant les langues indo-européennes vivaient dans une région connue aujourd’hui sous le nom de Steppe de Russie. A cette époque, ils étaient un peuple naturel qui vivait de la terre. Ils avaient développé l’agriculture et on dit qu’ils avaient commencé à domestiquer les animaux. On ignore s’ils furent le premier peuple au monde à domestiquer les animaux. Les nomades qui vivaient de chasse et de cueillette dans cette région ont probablement acquis des animaux chez les peuples agriculteurs, et adoptèrent alors une économie basée sur l’élevage des animaux. L’élevage et le parcage des animaux marquèrent une altération profonde dans la relation des humains avec les autres formes de vie. Ce fut une des vraies révolutions de l’histoire de l’humanité. Avant l’élevage, les humains dépendaient de la nature pour la reproduction du monde animal. Avec l’arrivée de l’élevage, les humains assumaient les fonctions qui avaient depuis toujours été celles des esprits des animaux. Quelque temps après cet avènement, l’histoire enregistre les premières manifestations de l’organisation sociale appelée patriarcat. La région comprise entre le Tigre et l’Euphrate constituait anciennement le territoire de différents peuples ayant en commun la langue sémite. Le peuple sémite fut parmi les premiers à développer les techniques d’irrigation. Ce développement conduisit à la construction des premières villes. La manifestation des eaux, autre forme de vie spirituelle, fut une nouvelle façon pour l’homme de développer une technique qui remplaçait une des fonctions de la nature. A l’intérieur de ces cultures, s’élabora une organisation sociale hiérarchisée. Ces anciennes civilisations engendrèrent l’impérialisme, en partie à cause de la nature même des cités. Les villes sont évidemment une concentration de population. Bien que très importantes, elles sont de telle nature qu’elles doivent importer des régions environnantes les besoins matériels nécessaires à une telle concentration. Cela signifie que le monde naturel doit être assujetti, vidé de son contenu et exploité dans l’intérêt de la cité. Pour organiser ce processus, le monde sémite développa très tôt des codes de loi. Ils développèrent également l’idée du monothéisme pour servir de modèle spirituel à leur organisation matérielle et politique. Une bonne partie de l’histoire ancienne raconte les combats entre les peuples indo-européens et sémites. Pendant plusieurs millénaires, les deux cultures s’affrontèrent et se mélangèrent. Au cours du second millénaire avant J.C., certains indo-européens, plus particulièrement les Grecs, adoptèrent la pratique de bâtir des cités, et ainsi commença le processus qu’ils nommèrent “civilisation”. Les deux cultures développèrent des techniques particulières à leur civilisation. Les Sémites inventèrent l’âtre qui permit la fabrication des poteries pour le commerce et le stockage du surplus. Ces premiers âtres devinrent des fours qui pouvaient produire une chaleur suffisante pour fondre les métaux, notamment le cuivre, l’étain et le bronze. Les indo-européens, eux, s’appliquèrent à fondre le fer. Rome fut l’héritière de ces deux cultures, et devint le lieu où le mélange final s’opéra. Rome est ainsi le vrai lieu de naissance du christianisme. Le processus qui est devenu la culture de l’Ouest, est historiquement et linguistiquement une culture sémite/indo-européenne, mais on l’appelle communément la tradition judéo-chrétienne. Le christianisme était un élément absolument essentiel au départ du développement de ce type de technologie. Le christianisme proclamait un Dieu unique. C’était une religion qui s’imposait en excluant toutes les autres croyances. Les peuples des forêts européennes croyaient aux esprits des forêts, de l’eau, des collines et de la terre; le christianisme attaqua ces croyances, et de ce fait, il déspiritualisa le monde européen. Les peuples chrétiens, qui possédaient un armement supérieur et un besoin d’extension, furent capables de soumettre militairement les peuples tribaux d’Europe. La découverte du fer conduisit au développement d’outils capables d’abattre les forêts, source de charbon de bois, pour fabriquer toujours plus d’instruments. Les nouvelles terres déboisées furent ensuite retournées grâce à la découverte de la charrue en fer, qui était, tout d’abord, tirée par des chevaux. Avec cette technique, un nombre restreint de gens pouvaient travailler beaucoup plus de terre, et tous les autres furent effectivement déplacés pour devenir des soldats ou des paysans sans terre. L’extension de ce procédé annonça l’âge féodal, et rendit possible le développement de nouvelles villes et l’accroissement du commerce. Cela signifia aussi le commencement de la fin de la forêt européenne, bien que cette destruction mit longtemps à s’accomplir. Le développement des cités et le développement simultané des États européens créèrent un élan d’expansion et une recherche de nouveaux marchés qui poussèrent des hommes tel que Colomb à traverser l’Atlantique. Le perfectionnement des vaisseaux à voiles et des techniques de navigation rendirent inévitable la “découverte” de l’Amérique par les Européens. Les Amériques offrirent aux Européens un nouveau et vaste champ d’expansion et d’exploitation matérielle. Au départ les Amériques fournirent des matières premières et même des produits finis, permettant le développement de l’économie mondiale basée sur les technologies indo-européennes. La civilisation européenne a une histoire en forme de croissance, puis de chute au moment où ses techniques atteignent leurs limites naturelles et culturelles: le monde naturel, n’étant pas infini, a toujours constitué une sorte de contradiction interne à l’expansion occidentale. Les Européens s’attaquèrent à chaque aspect de l’Amérique du Nord avec un zèle incomparable. Les peuples natifs furent implacablement détruits car ils étaient un élément non-assimilable aux civilisations occidentales. Les forêts fournirent des matériaux pour des bateaux plus grands, la terre intacte et fertile pour de nouvelles réserves agricoles et certaines régions furent des sources d’esclaves pour les conquérants. Quand vint la révolution industrielle au milieu du XIXe siècle, l’Amérique du Nord était déjà en tête dans le domaine du développement des techniques d’extraction. Dans le Nord-Est, les forêts ne furent pas rasées pour laisser la place à des terres agricoles, mais ces forêts furent détruites pour produire du charbon de bois pour les forges et la fonderie. Vers 1890, l’Ouest s’était orienté vers le charbon, combustible fossile, pour fournir l’énergie nécessaire à toutes nouvelles sortes de machines qui s’étaient développées. Durant la première moitié du XXe siècle, le pétrole remplaça le charbon comme source d’énergie. La culture occidentale a été atrocement “exploiteuse” et destructrice pour le monde naturel. Plus de 140 espèces d’oiseaux et d’animaux furent totalement détruites, principalement parce qu’elles étaient inutilisables aux yeux des envahisseurs. Les forêts furent nivelées, les eaux polluées et le peuple natif soumis au génocide. Les vastes troupeaux d’herbivores furent réduits à une simple poignée, le bison fut en voie d’extinction. La technologie occidentale et le peuple qui s’en réclamait, ont été dans toute l’histoire de l’humanité les forces les plus destructrices qu’on puisse imaginer. Aucun désastre naturel n’a jamais détruit autant . Même l’âge glaciaire n’a pas fait autant de victimes. Mais comme les forêts, le charbon et le pétrole sont aussi des ressources limitées, tandis que la seconde moitié du XXe siècle s’avançait, les Occidentaux ont commencé à chercher d’autres formes d’énergie pour donner un nouvel essor technologique. Leurs yeux se sont arrêtés sur l’énergie atomique, une forme de production d’énergie dont les sous-produits sont les substances les plus nocives que l’homme ait jamais connues. Aujourd’hui, l’espèce humaine est confrontée à la question de la survie même de l’espèce. Le mode de vie connu sous le nom de civilisation occidentale est sur le chemin de mort au sujet duquel sa propre culture n’a pas de réponses viables à apporter. Confrontés à la réalité de leur propre destruction, ils ne peuvent qu’aller plus loin vers une destruction plus efficace. L’apparition du plutonium sur cette planète est le signe le plus clair que notre espèce est en danger. C’est un signal que la plupart des Occidentaux ont choisi d’ignorer. L’air est vicié, les eaux sont empoisonnées, les arbres se meurent et les animaux disparaissent. Nous pensons que même les systèmes de climats changent. Nos anciens enseignements nous prévenaient que si l’homme interférait avec les lois naturelles, tout cela arriverait. Quand le dernier souffle du mode de vie naturel sera éteint, tout espoir de survie humaine s’en ira avec lui. Et notre mode de vie disparaît rapidement, victime du processus de destruction. Les autres déclarations des Hau de no sau nee expriment notre analyse de l’oppression juridique et économique. Mais notre message essentiel au monde est un appel fondamental à la prise de conscience. La destruction des cultures et des peuples natifs est le même phénomène que celui qui a détruit et détruit encore la vie sur cette planète. Les technologies et les systèmes d’organisation sociale qui ont détruit la vie animale et végétale sont aussi en train de détruire la vie des peuples naturels. Et ce processus est la civilisation occidentale. Nous savons qu’il y a beaucoup de personnes dans le monde qui peuvent rapidement comprendre l’intention de notre message. Mais l’expérience nous a enseigné qu’il y en a peu qui cherchent une solution pour changer réellement les choses. Mais s’il doit y avoir un avenir pour les êtres sur cette planète, nous devons commencer à chercher les voies du changement. Le processus de colonisation et d’impérialisme qui a affecté les Hau de no sau nee n’est qu’un microcosme du processus qui affecte le monde. Le système des réserves employé contre notre peuple est un microcosme du système d’exploitation utilisé contre le monde tout entier. Depuis le temps de Marco Polo, l’Ouest a raffiné ses méthodes qui ont mystifié les peuples de la Terre. La majeure partie du monde ne trouve pas ses racines dans les cultures ou traditions occidentales. La majeure partie du monde a ses racines dans le monde naturel, et c’est le monde naturel, avec ses traditions, qui doit prévaloir si nous voulons développer des sociétés réellement libres et égalitaires. Il est nécessaire aujourd’hui de commencer une analyse critique de l’histoire de l’Ouest, de rechercher la nature actuelle de l’enracinement des conditions d’exploitation et d’oppression que subit l’humanité. En même temps que nous commencerons à comprendre ce processus, nous devrons réinterpréter cette histoire pour le peuple du monde. C’est le peuple occidental, en fin de compte, qui est le plus opprimé et exploité. Il est écrasé par le poids des siècles de racisme, de sexisme et d’ignorance qui ont rendu les gens insensibles à la vraie nature de leur vie. Nous devons continuellement et soigneusement remettre en question chaque modèle, chaque programme, chaque procédé que l’Ouest essaie de nous imposer. Paulo Friere écrit dans son livre “La Pédagogie de l’Opprimé”, que c’est dans la logique de l’opprimé d’imiter son oppresseur et d’essayer de se libérer de l’oppression par des actions semblables. Nous devons apprendre à résister à ce genre de réponses à l’oppression. Le peuple qui vit sur cette planète a besoin de rompre avec le concept étroit de libération humaine, et doit commencer à voir que la libération doit s’étendre à l’ensemble du monde naturel. Ce dont nous avons besoin, c’est la libération de toutes les choses qui soutiennent la vie - l’air, les eaux, les arbres - toutes les choses qui soutiennent la toile sacrée de la vie. Nous sentons que les peuples natifs de l’hémisphère Ouest peuvent continuer à contribuer au potentiel de survie de l’espèce humaine. La majorité de nos peuples vivent encore en accord avec les traditions qui s’enracinent dans la Terre Mère. Mais les peuples natifs ont besoin d’audience sans laquelle nos voix ne pourront être entendues. Nous avons besoin de nous allier avec les autres peuples du monde afin qu'ils nous soutiennent dans notre combat pour retrouver et maintenir nos terres ancestrales et pour protéger le mode de vie que nous suivons. Nous savons que c’est une tâche difficile. Beaucoup d’États peuvent se sentir menacés par l’idée que représentent la protection et la libération des peuples et des cultures du monde naturel, un mouvement progressiste qui doit être intégré aux options politiques des gens qui cherchent à relever la dignité de l’homme. Mais cette position prend force et elle représente un choix nécessaire dans l’évolution de la pensée progressiste. Les peuples natifs traditionnels détiennent la clef du renversement du processus de la civilisation occidentale qui nous promet un avenir inimaginable de souffrance et de destruction. La spiritualité est la forme la plus haute de conscience politique. Et nous, les peuples natifs de l’hémisphère Ouest, sommes dans le monde parmi les détenteurs vivants de cette forme de conscience. Nous sommes là pour communiquer ce message.
Source : "Les humains associés" - La conscience dans tous ses états. |